La sagesse est considérée
dans toute l'Antiquité comme un mode d'être, comme un état
dans lequel l'homme est de
manière radicalement différente des autres hommes, dans lequel il est
une sorte de surhomme.
Si la philosophie est l'activité par laquelle le philosophe s'exerce à la
sagesse, cet exercice consistera nécessairement non pas seulement à parler et
à discourir d'une certaine manière, mais à être, agir et voir le monde d'une
certaine manière. Si donc
la philosophie n'est pas
seulement un discours, mais un choix de vie, une option existentielle
et un exercice vécu, c'est parce qu'elle est désir de la sagesse. II est vrai que, dans la notion de sagesse, est incluse
l'idée d'un savoir parfait. Pourtant, comme nous l'avons vu à propos de Platon et
d'Aristote, ce savoir ne consiste pas
dans la possession d'informations sur la réalité, mais il est lui aussi un
mode de vie qui correspond à l'activité la plus haute que l'homme puisse
exercer et il est étroitement lié à l'excellence, à la vertu de l'âme.
Dans chaque école, la figure
du sage est donc
la norme transcendante qui détermine le mode de vie du philosophe. Et l'on doit
constater que, dans la description de cette norme, il y a, au-delà des différences qui
apparaissent dans les diverses écoles, des accords profonds, des tendances communes que
l'on peut déceler. Nous retrouvons ici le même phénomène que nous avions
décrit à propos des exercices spirituels.
Tout d'abord, le sage reste identique à
lui-même, dans une parfaite égalité d'âme, c'est-à-dire heureux, quelles que
soient les circonstances. Ainsi Socrate, dans le Banquet de Platon,
garde-t-il les mêmes dispositions, qu'il soit obligé de supporter la faim et
le froid ou, au contraire, qu'il se trouve dans l'abondance. Il sait avec la
même aisance s'abstenir et jouir des choses. On disait d'Aristippe, un des
disciples de Socrate, qu'il s'adaptait à toutes les situations, sachant jouir
de ce qui se présentait et ne pas souffrir de l'absence des biens qui lui
manquaient. Quant à Pyrrhon, il restait toujours dans le même état intérieur,
ce qui veut dire que si les circonstances extérieures venaient à changer, il
ne modifiait en rien ses résolutions et ses dispositions. La cohérence
avec soi et la permanence dans l'identité caractérisent aussi le sage
stoïcien, car la sagesse consiste à toujours vouloir et toujours ne pas
vouloir la même chose.
C'est précisément que le sage trouve son bonheur en
lui-même et qu’il est donc indépendant (autarkês) par rapport aux
circonstances et aux choses extérieures, comme Socrate qui, selon
les Mémorables de Xénophon, vivait en se suffisant à lui-même, sans
s'embarrasser de choses superflues. C'est l’une des caractéristiques du sage
selon Platon, qui fait dire à Socrate : « S'il est un homme qui se suffit à
lui-même pour être heureux, c'est bien le sage, et il est celui de tous les
hommes qui a le moins besoin d'autrui. » Et selon Aristote, le sage mène la
vie contemplative, parce qu'elle n'a pas besoin de choses extérieures pour
s'exercer et que le sage trouve ainsi en elle le bonheur et la parfaite
indépendance. Ne dépendre que de soi, se suffire à soi-même, en réduisant au
maximum ses besoins, c'est tout spécialement l'idéal des philosophes
cyniques. Les épicuriens, pour leur part, y parviennent en limitant et maîtrisant
leurs désirs ; ils ne sont plus alors dépendants du besoin. Quant aux
stoïciens, ils préfèrent dire que c'est la vertu qui suffit à elle seule au
bonheur.
Si le sage reste
toujours identique à lui-même et s'il se suffit à lui-même, c'est, au moins pour
Pyrrhon, pour les cyniques et pour les stoïciens, parce que les choses extérieures ne peuvent le troubler, parce qu'il
considère qu'elles ne sont ni bonnes ni mauvaises, parce que, pour des
raisons diverses, il refuse
de porter sur elles un jugement de valeur et qu'il les déclare donc
indifférentes. Pour Pyrrhon, par exemple, tout est indiffèrent, parce que
nous sommes incapables de savoir si les choses sont bonnes ou mauvaises ;
nous ne pouvons donc pas faire de différence entre elles. Pour les stoïciens, toutes les
choses qui ne dépendent pas de nous sont indifférentes ; il n'y a qu'une
seule chose qui dépende de nous et ne soit pas indifférente, c'est le bien
moral, c'est-à-dire l'intention de faire le bien parce que c'est le bien. Par
elles-mêmes, toutes les autres choses ne sont ni bonnes ni mauvaises, mais il dépend de nous d'en user de
manière bonne ou mauvaise, par exemple des richesses ou de la
pauvreté, de la santé ou de la maladie. Leur valeur dépend donc de l'usage souverain qu'en fait
le sage.
[Mais]L’indifférence du sage
n'est pas un désintérêt à l'égard de tout, mais une conversion de l'intérêt
et de l'attention vers quelque chose d'autre que ce qui accapare l'attention
et le souci des autres hommes. Pour
le sage stoïcien par exemple, on peut dire qu'à partir du moment où il a
découvert que les choses indifférentes ne dépendent pas de sa volonté, mais
de la volonté de la Nature universelle, elles prennent pour lui un intérêt
infini, il les accepte avec
amour, mais toutes avec un égal amour, il les trouve belles, mais toutes avec
la même admiration. Il dit « oui » à l'univers tout entier et à
chacune de ses parties, à chacun de ses événements, même si cette partie ou
cet événement paraissent pénibles ou répugnants. On retrouve d'ailleurs ici l'attitude
d'Aristote à l'égard de la Nature : il ne faut pas avoir une aversion puérile
pour telle ou telle réalité produite par la Nature, car, comme le disait
Héraclite, même dans la cuisine il y a des dieux. Cette indifférence du sage correspond à une transformation
totale du rapport au monde.
P. Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ?
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La sagesse antique = une façon de mener son existence
= différente + supérieure
DONC philosopher = adopter une certaine manière de
vivre
(CERTES = aussi acquérir
un savoir
MAIS ce savoir est
d’abord un savoir à vivre concrètement)
DONC le sage antique = idéal à imiter pour le
philosophe
DE PLUS, ce modèle = presque le même dans toutes les
philosophies antiques :
1. le sage sait rester d’une humeur inaltérable, ce qui
le rapproche du bonheur
2. CAR il sait ne pas dépendre des conditions
extérieures
3. CAR il considère qu’elles n’ont pas de valeur en
elles-mêmes...
...mais que son action seule peut leur en donner
MAIS ≠ se désintéresser des choses
= s’y
intéresser d’une façon différente
= les recevoir
avec sérénité et amour
Cette forme de sagesse = autre manière de concevoir
l’univers
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La sagesse antique = une façon de mener son existence
= différente + supérieure
DONC philosopher = adopter une certaine manière de
vivre
(CERTES = aussi
acquérir un savoir MAIS ce savoir est d’abord un savoir à vivre concrètement)
DONC le sage antique = idéal à imiter pour le
philosophe
DE PLUS, ce modèle = presque le même dans toutes les
philosophies antiques :
1. le sage sait rester d’une humeur inaltérable, ce qui
le rapproche du bonheur
2. CAR il sait ne pas dépendre des conditions
extérieures
3. CAR il considère qu’elles n’ont pas de valeur en
elles-mêmes......mais que son action seule peut leur en donner
MAIS ≠ se désintéresser des choses
= s’y
intéresser d’une façon différente = les recevoir avec sérénité et amour
=
autre manière de concevoir l’univers
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Dans l’Antiquité, être sage, c’est mener une
vie différente et supérieure à celle du commun des mortels, et toute
philosophie, loin d’être simplement un discours ou un ensemble de
connaissances théoriques, consiste à atteindre ce but.
Quelle que soit l’école choisie, cet idéal
de bonheur consiste à savoir rester inaltérable devant les aléas de
l’existence, dont on sait rester parfaitement indépendant une fois qu’on a
compris qu’ils n’ont pas de valeur en eux-mêmes, mais seulement celle que
notre action leur donne.
Il
ne s’agit donc pas de se désintéresser des choses, mais d’approfondir le
rapport qu’on entretient avec elles en les recevant toutes avec
sérénité ; en somme, c’est une autre manière d’être au monde.
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